Rompre des négociations en cours : une liberté qui a ses limites

Droit de l'entreprise

Me J.-M. Secretin, avocat au Barreau de Liège-Huy

La liberté contractuelle est consacrée par le Code civil. Elle implique qu’en principe, personne ne peut être contraint ou empêché d’entamer des négociations, ni de les faire aboutir à la concrétisation d’un contrat ou, au contraire, de les rompre. Puisque les parties ne sont pas liées tant qu’un contrat n’est pas conclu, le seul fait de rompre des pourparlers n’engage pas, en principe toujours, la responsabilité de la partie qui se retire des négociations, du moins tant qu’elle n’a pas formulé une offre ferme et engageante.

Toutefois, cette liberté n’est pas absolue. 

Elle est limitée par l’obligation générale de prudence et de bonne foi qui, dans le contexte de discussions précontractuelles, s’impose à chacune des parties quant à la manière de conduire et, le cas échéant, de rompre des négociations en cours.

Une question de circonstances ?

Nombreuses sont les décisions de jurisprudence qui le rappellent : la rupture de pourparlers n’est pas en soi fautive, mais les circonstances de cette rupture peuvent engager la responsabilité de son auteur.

Pour apprécier le caractère éventuellement abusif d’une rupture de négociations, plusieurs critères sont habituellement pris en considération par les cours et tribunaux : son imprévisibilité et sa brutalité, l’absence de motif légitime, le caractère très avancé des pourparlers, la déloyauté de la rupture, le maintien volontaire de faux espoirs lorsque la décision de rompre a déjà été prise, l’absence de désaccord entre les parties, etc.

Par contre, tant qu’aucun accord n’a encore été conclu ni aucune offre engageante formulée par la partie qui rompt, la circonstance qu’un tiers propose des conditions plus avantageuses est admise comme un motif légitime de rupture des négociations.

Quelles peuvent être les conséquences d’une rupture fautive de discussions précontractuelles ?

Son auteur engage sa responsabilité civile à l’égard de son interlocuteur, dont il devra réparer le préjudice.

Il s’agira bien sûr de le dédommager des frais inutiles qu’il aura engagé en pure perte par la faute de l’auteur de la rupture, pour autant que l’absence de comportement fautif eût permis d’éviter ces frais. 

En outre, le préjudicié pourra obtenir des dommages et intérêts pour compenser l’opportunité perdue de retirer un bénéfice de l’opération avortée fautivement. Il s’agira d’une perte de chance, donc d’un pourcentage du bénéfice potentiel perdu, qui sera d’autant plus élevé que les chances de le réaliser – et donc de conclure l’accord – étaient grandes. Il lui faudra donc non seulement établir la réalité du bénéfice qu’il aurait pu réaliser si les négociations avaient abouti, mais aussi la mesure dans laquelle c’est bien la faute commise qui l’en a privé.

Dans un tel contexte, extrêmement dépendant de l’appréciation qu’un juge pourra porter sur les circonstances de l’espèce, il est certainement prudent d’interroger son conseil habituel avant de rompre des pourparlers en cours pour s’assurer de ne pas engager sa responsabilité par une rupture qui pourrait être qualifiée de fautive au sens de l’article 1382 du Code civil.