La médiation commerciale et les entrepreneurs : déjà depuis 10 ans au Tribunal de l’entreprise de Liège

Droit de l'entreprise

Mes Caroline Muraille et Damien Dessard, avocats au Barreau de Liège-Huy

C’est à l’automne 2012 que la médiation commerciale a fait son entrée dans les murs du Tribunal de l’entreprise de Liège. En partenariat avec l’Ordre des avocats du barreau de Liège-Huy, le Tribunal de l’entreprise, présidé par Madame Fabienne BAYARD, a permis la coexistence de deux mondes… En effet, à côté du procès classique, s’est invitée, comme mode de résolution des conflits, la médiation ! Le Tribunal a décidé de mettre en place des permanences de médiation, tenues par des avocats médiateurs, au sein même du Tribunal.

L’anniversaire de ces permanences est l’occasion de rendre compte de cette pratique, regarder dans le rétroviseur et porter son regard vers l’avenir.

Une permanence de médiation ?

L’idée des permanences de médiation est d’offrir aux justiciables la possibilité d’y rencontrer l’autre partie, son adversaire, et de pouvoir choisir, en concertation avec elle et les avocats, après avoir obtenu des informations du magistrat sur les contours de la médiation commerciale, la voie la plus adéquate pour résoudre son conflit.

Si les parties sont intéressées par la médiation, un avocat médiateur se trouve dans la salle, déjà à leur disposition, pour à tout le moins compléter l’information, voire parfois même entamer les discussions inhérentes au processus de médiation.

En ces périodes d’instabilité et d’insécurité économiques, durant lesquelles les entreprises font face à de multiples difficultés, communiquer une information éclairée aux parties en litige quant aux différents modes de résolution des conflits existants, afin qu’elles puissent choisir le mode de résolution le plus adapté à leurs besoins, prend tout son sens.

Sur quels critères le Tribunal de l’entreprise propose la médiation ?

Les critères sont certes variés, mais l’on peut en retenir deux importants : Les conflits entre associés et les litiges qui contiennent des demandes reconventionnelles. 

Pour les premiers, les conflits entre associés, sont souvent marqués par de longues relations entre les protagonistes, marquées par des contacts humains souvent autres que strictement professionnels, a fortiori si les associés ont entre eux des liens familiaux.

Pour les seconds, l’existence d’une demande reconventionnelle, formée par le défendeur contre le demandeur, atteste que chaque partie a des reproches à formuler à l’autre. 

En effet, dans ce type de dossier où l’on trouve clairement des demandes croisées et réciproques des parties l’une à l’égard de l’autre, il y a de grands risques que, dans le cadre d’une procédure classique, chacune des parties se trouve finalement déçue n’obtenant pas ce qu’elle convoite.

Et pour l’entreprise ?

Les paramètres à prendre en considération pour favoriser ce choix sont multiples et les points de discussion et d’attention qui aident à la prise de décision portent sur les thèmes suivants :

  • la question du temps : le déroulement d’une médiation est souvent plus rapide qu’une procédure classique, a fortiori lorsque s’ajoute à l’analyse du juge en instance, celle d’un juge en appel, lorsqu’une des deux parties conteste la décision rendue;
  • la maîtrise de son litige : la procédure ordinaire implique la délégation de l’argumentation aux avocats et surtout la délégation de la solution au magistrat ; en médiation, la solution est construite par les parties et n’est nullement imposée par un tiers;
  • l’argent : celui que l’on réclame parfois à défaut d’autre chose ; celui qu’on dépense en frais de procédure ; celui qu’on attend indéfiniment parce qu’une exécution forcée d’un jugement n’est plus possible suite à une faillite ; le prix de la paix ; … le tout au regard du coût de la médiation et du coût du procès;
  • la créativité de la solution : à côté des réclamations financières et des « comptes d’apothicaires », il est souvent possible d’envisager d’autres choses, comme de nouveaux partenariats, de nouvelles collaborations, …
  • la stricte confidentialité des discussions et des travaux de médiation versus la publicité des audiences et du jugement;
  • le lien qui a parfois uni les parties au sein même d’une société, par exemple où les associés se déchirent, ne pourra pas être préservé dans une procédure judiciaire classique, alors qu’il lui reste une chance, dans le cadre d’une médiation …
  • les vicissitudes du procès, ses tribulations, sa durée (instance et appel, l’arriéré judiciaire dans certaines juridictions), son aléa, ses éventuelles frustrations versus la participation active des parties à un processus axé sur la recherche de solutions qu’elles-mêmes déterminent.

La médiation au Tribunal, au-delà de l’oxymore, est une pratique pragmatique qui vise l’ouverture de la discussion. Il ne s’agit pas de forcer la médiation dont le caractère volontaire est garanti par le Code judiciaire et surtout par la ‘philosophie’ même du processus de médiation, qui ne peut fonctionner que si les justiciables y participent en ayant eux-mêmes conscience qu’ils y ont un intérêt réel, mais d’aider au choix du mode de résolution des conflits le mieux adapté, en application de la pensée philosophique selon laquelle « l’ignorant n’est pas libre ».